Dante Alighieri

Divine comédie

1481

N’importe quelle page avec beaucoup de commentaire

Nous sommes en 1481.

Florence, alors au sommet de sa gloire, entend se réapproprier Dante, autrefois envoyé en exil et couvert de critiques.

Cette édition de la Commedia est une entreprise, politique et patriotique, de récupération.

Elle mobilise trois grandes figures locales, Landino, Ficin et Botticelli, pour exalter le poète et faire de la Comédie, devenue un classique, un monument strictement florentin.

Le maître d’œuvre de cette édition est Cristoforo Landino précepteur de Laurent le Magnifique, membre de l’Académie platonicienne de Marsile Ficin, humaniste et défenseur de la langue vulgaire.

Dans un long préambule, il magnifie Dante comme héros national, vante les grands hommes qui ont fait la gloire de Florence et revendique la supériorité de la langue florentine sur les autres parlers italiens.

Surtout, il va accompagner la Comédie d’un immense commentaire.

Illustr f. 16v (Renaissance italienne p.38)

Pour mettre la Comédie au rang des grandes œuvres classiques, Landino en fait un commentaire, dont on mesure ici l’importance.

Outre les explications historiques et philologiques, et l’indication de sources possibles, il propose une lecture allégorique, inspirée de la spiritualité néo-platonicienne, qui, sous le voile des symboles, découvre dans le poème de profondes vérités religieuses, des révélations métaphysiques sur la vie éternelle.

On est ici au début du poème, dont on reconnaît le premier vers :

« Nel mezzo del camino di nostra vita ».

L’initiale, un immense N qui devait probablement être peint à la main, attend encore son artisan.

même page, zoom sur la gravure

Sandro Botticelli a laissé 92 dessins, dont certains en couleurs, qui illustrent, et commentent à leur manière, la Comédie.

Dix-neuf de ces dessins ont été gravés.

Le présent tirage ne contient que deux gravures, assez maladroites,  tandis que d’autres exemplaires de la même édition en comptent dix-neuf.

Virgile et Dante figurent plusieurs fois dans un même dessin, juxtaposant plusieurs plans temporels, comme dans une bande dessinée.

Botticelli rassemble ici les principaux épisodes du chant I de l’Enfer.

A gauche, Dante chemine dans la forêt obscure, lieu de péché et de perdition.

Surgissent alors, pour l’empêcher d’en sortir, trois fauves : un guépard et un lion, serrés en bas, puis une louve, venue de l’Enfer, qui barre le chemin conduisant vers la montagne et la lumière.

Alors apparaît Virgile, reconnaissable à sa barbe et son chapeau rond, qui va venir au secours de Dante et désormais le guider dans son voyage.

Illustr : f. 33v, toute la page ou gravure seulement (Renaissance italienne, p. 39)

Botticelli décompose ici le chant II de l’Enfer en 3 étapes.

À gauche, Dante avoue à Virgile qu’il hésite à s’engager dans une exploration redoutable.

Virgile lui raconte alors comment Béatrice lui est apparue et l’a envoyé l’encourager.

Le voilà enfin prêt à pénétrer dans l’Enfer, dont la porte est surmontée de l’inscription qui ouvre le chant suivant :

« PER ME [si va nella citta dolente] »

page avec annotations marginales dans exempl. Barbier-M  [151]

D’une belle écriture humaniste, un lecteur anonyme a laissé dans cet exemplaire des notes personnelles.

Il se contente le plus souvent de copier ou résumer des points qui l’intéressent, probablement pour pouvoir en faire usage à son tour.

Il reproduit ici deux passages du commentaire :

1. Une explication à propos de l’ « aer bruno » de Dante :

« Nocte non est altro che lombra della terra ».

2. À propos de la misère et de la faiblesse humaines, un passage inspiré du psaume 102, 14, cette fois en latin : « Vidit deus figmentum nostrum et misertus est nostri » [Dieu a vu de quoi nous sommes formés et il a eu pitié de nous].

Curieusement, ce lecteur n’annote pas le poème, mais le commentaire de Landino, comme si celui-ci, colonisant presque tout l’espace du livre, avait occulté l’original et renversé la hiérarchie du primaire et du secondaire.

Michel Jeanneret