Hartman Schedel

Chronique de Nuremberg

1493

[Photos 1a et 1b : les deux pages se touchent]

La Chronique de Nuremberg raconte l’histoire du monde, de la Création jusqu’au Jugement dernier et, par de somptueuses illustrations, donne à voir les différentes régions alors connues.

On ne sait pas encore, à Nuremberg, que Christophe Colomb vient de faire une découverte qui va bouleverser l’ordre ancien.

Mais tant de choses bougent, en ce seuil de la modernité, qu’il faudrait suivre la marche des événements.

L’éditeur va donc inventer le livre évolutif et interactif.

Parvenu au temps présent, au point où s’arrête la chronique (1492), le lecteur trouve six pages blanches, qui devraient lui permettre de continuer la tâche de l’historien.

A lui de se mettre à l’oeuvre et de participer à une opération qui, virtuellement, n’a pas de fin.

Au bas de la page de gauche, une note précise :

« Pour la suite du sixième âge, il convient de laisser quelques pages sans écriture.

Je pense que la postérité pourra corriger, compléter et (…) rédiger l’histoire des hommes publics et privés à venir.

(…) Divers événements et des phénomènes extraordinaires surgissent dans le monde, de jour en jour, qui exigent de nouveaux livres. »

[Carte géographique]

Les producteurs et les premiers lecteurs de ce livre satisfaisaient une intense curiosité géographique et ethnographique, mais tournée seulement, et pour cause, vers l’Est et vers le Sud.

Cette carte, dite carte de Ptolémée, perpétue un modèle géographique qui remonte à l’Antiquité.

Elle regroupe les trois continents connus, entourés ici des vents et portés par les trois fils de Noé, Japhet, ancêtre des Européens, Sem, père des peuples sémites et Cham, aïeul des Africains.

Histoire et géographie sont mêlées à des mythes, des légendes, des croyances de toute sorte.

A gauche, on a représenté quelques échantillons d’espèces monstrueuses localisées en Afrique : un être à six bras, un corps velu, des mains et pieds à six doigts, un hybride homme-cheval, une femme à barbe au crâne chauve, un visage à quatre yeux, un homme à col de grue et bec d’animal.

[Panorama de Venise en noir et blanc]

Les plus belles et fameuses illustrations sont les vues panoramiques des grandes villes du monde.

Si, pour l’ensemble du livre, 645 gravures sur bois fournissent 1809 illustrations, c’est que la même image peut être reprise, avec une légende différente, pour figurer plusieurs cités ou plusieurs personnages.

C’est ainsi que Damas, Vérone, Mantoue et Naples sont toutes représentées par la même illustration ; le modèle idéal prend alors le pas sur le souci de précision.

Cela n’empêche pas qu’une trentaine de grandes villes – Jérusalem, Constantinople, Venise, Lyon, Nuremberg… - ont leur profil propre, où se combinent des données spécifiques et exactes d’une part, des visions fantaisistes d’autre part.

[Panorama de Venise en couleurs]

La scrupuleuse articulation du texte et de l’image implique un montage et un travail collectif soigneusement orchestrés.

L’auteur – ou plutôt le compilateur – est un médecin de Nuremberg, Hartmann Schedel.

Les illustrations proviennent de l’atelier d’un peintre et graveur de la place, Michael Wolgemuth, le maître d’Albrecht Dürer, qui a probablement été associé à l’entreprise.

Deux hommes d’affaires financent l’opération et un imprimeur renommé, Anton Koberger qui, avec vingt-quatre presses et des dizaines de typographes, a misé gros sur la nouvelle technologie, fabrique le livre.

Un tirage en latin et un autre en allemand paraissent en 1493, pour atteindre un total de 2000 à 2500 exemplaires, chiffre exceptionnel pour l’époque.

De nombreuses éditions suivront.

Autre manœuvre commerciale : les illustrations de nombreux exemplaires sont coloriés à la main.

La vue de Venise présentée plus haut était en noir et blanc, et extraite d’un exemplaire en latin.

Celle-ci est en couleurs, et provient de la série imprimée en allemand.

Michel Jeanneret