Christoph Leutbrewer

La Confession coupée

1713

[Fig. 1 : Page de titre]

Il n’est pas toujours facile de se livrer à un examen de conscience et il est encore plus difficile parfois d’avouer ses fautes, serait-ce à son confesseur.

Aussi le père franciscain belge Christoph Leutbrewer décida-t-il d’aider les pécheurs dans leur démarche en publiant un ingénieux livre pieux « à système » : La Confession coupée.

Grâce à ce petit volume, les aveux embarrassants n’avaient plus à sortir de la bouche des pécheurs trop timides.

Publié pour la première fois en 1677 à Bruxelles, l’ouvrage s’intitulait alors Excellente et facile méthode pour se préparer à une confession générale de toute sa vie, mais fut bientôt connu sous le nom générique de Confession coupée.

[Fig.2 : page des péchés de frivolité : chansons, danses, etc.]

Divisé en dix chapitres, ce manuel de piété et de pénitence quotidiennes présentait des listes d’infractions courantes (comme les danses lascives) ou plus exotiques (comme la magie noire) aux Commandements divins.

Décrits en une ligne lapidaire, les divers péchés étaient imprimés, à raison d’une dizaine par page, sur des languettes de papier horizontales prédécoupées, dont l’extrémité libre était normalement coincée dans le cadre formé par la marge droite.

Lorsque l’utilisateur souhaitait, en vue de sa confession, faire le compte de ses fautes, il parcourait le volume de manière thématique (certains défauts de caractère lui étant plus coutumiers que d’autres) et mettait en évidence ses péchés en soulevant les languettes appropriées, à l’aide de la pointe d’un couteau ou d’une épingle.

[Fig. 3 : page des péchés familiaux]

Cette longue litanie de péchés (près de 900 énumérés en 84 pages !) faisait cohabiter les crimes les plus noirs avec les fautes les plus vénielles.

Ainsi, le meurtre, péché mortel, présentait des circonstances aggravantes, objets de languettes supplémentaires, comme « Bien plus [avoir commis] un parricide ».

Les relations familiales faisaient l’objet d’une longue section sur le même ton : le fait d’« Avoir trop inquiété sa famille par colere & crieries » comportait un échelon supérieur, « Et ce par coutusme ».

En revanche, il n’était guère reproché de châtier de temps à autre son épouse : le seul péché était ici de « L’avoir corrigée trop enormement ».

Certaines professions sujettes à des déviances étaient l’objet de listes particulières (principalement les hommes d’Eglise, les médecins et apothicaires, les juges et avocats, ou les fonctionnaires royaux).

Quant aux « lascivitez », elles étaient bien entendu énumérées par le menu, de la chanson légère aux « nuditez deshonnestes » et autres « saletez ».

[Fig. 4 : page très cornée du péché de colère]

En dépit de l’invention habile de ces onglets escamotables censés faire disparaître toute trace des fautes commises, l’emploi fréquent de ces fragiles languettes de papier ne pouvait, à l’usage, que les endommager.

Aussi peut-on, en s’attardant sur les pages les plus écornées, reconstituer le profil du pénitent jadis possesseur de ce livre, dont le plus gros défaut semble avoir été la colère.

On lui pardonnera bien volontiers, d’autant que, selon le rigoriste père Leutbrewer, c’était encore pécher que « d’avoir par ignorance fait un peché de ce qui ne l’estoit pas » ! 

[Fig. 5 : double page de la méthode]

Résolument didactique, le livre s’ouvrait sur quelques conseils pour préparer son âme au sacrement de la confession, mais aussi sur un véritable mode d’emploi.

Une fois les onglets soulevés, le volume, de petit format, pouvait être discrètement emmené jusqu’au confessionnal, au fond d’une poche, et présenté au prêtre pour faire l’inventaire des délits commis sans que la moindre parole ait été prononcée.

L’absolution divine obtenue, lavant le fidèle de tous ses péchés, il convenait de réintégrer les bandes de papier dans leur logement, effaçant ainsi le compte des fautes aussi bien physiquement que spirituellement.

Ainsi, dans la plus grande discrétion, « le tout se remet & se confond avec les autres pêchés, comme il étoit auparavant, sans que d'autres personnes puissent connoître les pechez dont on s'est accusé ».

Le succès ayant été immédiat, l’ouvrage connut de très nombreuses rééditions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Nicolas Ducimetière