Henri Estienne

Parodiae morales

1575

Photo : deux pages intérieures à choix (123)

Les peintres apprenaient autrefois le métier en copiant les toiles des maîtres.

Les écoliers lisaient les classiques pour apprendre à écrire.

On imitait et progressivement on gagnait son indépendance.

Ce principe, largement répandu à la Renaissance et à l’âge classique, inspire ce petit livre.

Henri Estienne, un imprimeur, mais aussi un savant et un helléniste renommé, propose une série d’exercices qu’il appelle parodies.

Le propre de la parodie, explique-t-il, est de déployer un texte et, par amplifications, par variations, de le récrire jusqu’à produire un nombre illimité de versions nouvelles.

A partir d’une matrice prélevée dans le répertoire classique, dont on combine et modifie les éléments, on bricole pour créer du nouveau.

Voyons comment fonctionne ce projet, à la fois didactique et ludique.

Estienne, dans la posture du lecteur à l’œuvre, illustre lui-même la méthode.

Il prélève chez un poète latin un vers, l’isole et s’amuse à le reformuler de multiples manières, produisant ainsi, sur le même thème, d’autres énoncés.

Les modulations parodiques, dans chaque exemple qu’il donne, sont rangées de l’intervention la plus légère à la plus libre.

Une série de modifications progressives déploie ainsi le film des glissements et des variations du texte premier.

Soit par exemple cette formule de Juvénal : « A défaut de génie, c’est l’indignation qui fait les vers » (nous traduisons du latin).

En voici, traduites, les transformations :

A défaut de génie, c’est l’indignation qui fournit les paroles. A défaut de génie, c’est la colère qui dictera des paroles courageuses. A défaut de génie, c’est la colère qui suscite un cœur courageux. (…) Les ailes que le génie refuse, la crainte les met aux pieds. Les compétences que le génie dénie, la crainte les fait chercher.

Et ainsi de suite.

Estienne propose onze échantillons, mais il est évident qu’on pourrait continuer à l’infini.

Photo de deux pages dont une blanche (143)

Ces essais ne sont que des exemples pour amener le lecteur à poursuivre lui-même l’exercice.

Comme un manuel scolaire, le livre sert à préparer le travail de l’élève et ne s’accomplit que dans le futur, par la participation du public.

J’ai fait ma part, dit l’auteur, à vous de continuer ; il ne suffit pas de lire, il faut produire.

Pour favoriser ce relais et, concrètement, inviter le destinataire à se mettre au travail, Estienne laisse blanches toutes les pages de droite.

Il s’en explique : « J’espère que beaucoup tenteront le même genre d’exercice […].

A ceux-là, j’ai laissé une page vide face à chacune des citations servant à la parodie ».

Interfolié de pages blanches, le volume n’est écrit qu’à demi, dans l’attente de celui qui remplira les vides ; ouvert sur sa réalisation à venir, c’est un véritable objet potentiel.

Michel Jeanneret