Quinte-Curce

De Rebus gestis Alexandri Magni

1545

1 page de titre

De son propre aveu, Montaigne aurait commencé la lecture de ce livre « convié par la beauté de la lettre ».

Ce sont les fontes utilisées dans l'officine bâloise de la famille Froben qui le captivent et l’entraînent.

La lecture de cette histoire d'Alexandre le Grand, l'une des sources avérées du troisième livre des Essais, que Montaigne achevait alors, aura été déclenchée par une question d’esthétique : aujourd'hui comme alors, la typographie et la beauté d'une page (qu’elle soit imprimée ou sous forme numérique) saisit l’œil et retient le lecteur.

L’Histoire d'Alexandre est un volume in-folio à grandes marges, issu des presses de Jérôme Froben.

Celui-ci continuait le programme éditorial lancé par son père Johann Froben, l’ami et l’éditeur d’Erasme.

Ses livres étaient réputés rivaliser, par-dessus les Alpes, avec ceux du grand imprimeur vénitien Alde Manuce.

Hans Holbein le Jeune avait illustré plusieurs livres issus des presses des Froben.

Les interventions de Montaigne prennent la forme de soulignements, nombreux, et de brèves annotations dans les marges (malheureusement mutilées par un relieur du XVIIIe siècle).

2 illustration  « heure des affaires »

Comparées à ses minutieuses annotations de jeunesse (par exemple en marge d’un exemplaire du De rerum natura de Lucrèce), les notes de Montaigne sont maintenant plus courtes, à peine quelques mots.

En marge du passage où Quinte-Curce décrit longuement le faste entourant les monarques indiens qui reçoivent les ambassadeurs et rendent justice à leurs sujets en même temps qu’on les coiffe, Montaigne note simplement ces trois mots : « heure des affaires ».

Le passage l’interpelle et – comme l’a montré Alain Legros – lui rappelle sans doute l’habitude des princes européens « qui pour dépêcher les plus importantes [sic] affaires, font leur trône de leur chaire percée ».

(Essais, « Nos affections s’emportent au delà de nous », I, 3).

On voit que Montaigne, dans ses lectures, s’attache particulièrement aux détails anthropologiques et cherche en outre un « honnête amusement », car « les difficultés, si j’en rencontre en lisant, je n’en ronge pas mes ongles » (Essais, « Des livres », II, 10).

3. illustration – note de la fin de l’ouvrage

La note manuscrite à la fin de l’ouvrage sert d’aide-mémoire :

« Je commençai à le lire fortuitement convié par la beauté de la lettre (…). Après que je l’eus entamé, je le lus en trois jours, moi qui n’avais, il y a dix ans, lu un livre une heure de suite ».

Il ajoute la date, 1587, et son âge : 54 ans.

C’est une méthode d’annotation que Montaigne avait déjà décrite dans les Essais : « Pour subvenir un peu à la trahison de ma mémoire (…) j'ai pris en coutume, depuis quelque temps, d'ajouter au bout de chaque livre (je dis de ceux desquels je ne me veux servir qu'une fois) le temps auquel j'ai achevé de le lire et le jugement que j'en ai retiré en gros, afin que cela me représente au moins l'air et Idée générale que j'avais conçu de l'auteur en le lisant » (Essais, « Des livres », II, 10).

Typiquement, Montaigne saisit l’instant singulier comme témoignage de son histoire en constante transformation.

4. signature de Montesquieu

Presque deux siècles plus tard, on retrouvera ce même livre dans la bibliothèque d’un autre écrivain gascon, Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu, qui rajoute sa signature sur la page de titre.

Doit-on lui attribuer ces autres annotations, à l’encre rouge et tracées d’une main qui ne semble pas être celle de Montaigne ? Dernier intervenant sur ce livre : le relieur qui a taillé les marges et réduit ainsi d’un tiers certaines annotations ! Une pratique courante à l’époque et un traitement inévitable lorsque le nouveau propriétaire demandait à avoir une nouvelle reliure.

Le fameux exemplaire de Bordeaux, chargé de notes autographes, a subi le même traitement.

Radu Suciu