Ovide

Les Métamorphoses

XIVᵉ s.

Illustration fol. 16v. (le bras replié et la note en dessous)

Ce manuscrit des Métamorphoses d’Ovide, d’origine italienne (vers 1320 ?), est l’exemple-type du texte annoté.

Quatre annotateurs ont été identifiés, que, par commodité, nous associons à des lettres : A se caractérise par une écriture gothique soignée du XIVe siècle, B par une écriture humanistique penchée de la fin XVe-début XVIe, C, par une écriture gothique du XIVe et D, par une écriture gothique plus allongée et plus petite du XIVe siècle.

On peut distinguer au moins quatre types de notes.

Il s’agit, selon un ordre croissant de complexité, de notes signalétiques ; notes intertextuelles ; notes lexicales et philologiques ; et enfin notes commentaires (inspirées ou non d’un commentaire préexistant).

L’élucidation d’un échantillon de ces divers types de gloses permet de répondre à un éventail assez large de questions.

Quelles sont la fréquence et la valeur de ces notes ? Dans quelles perspectives le texte des Métamorphoses a t-il été lu ? Ces notes sont-elles des copies de commentaires canoniques ou des gloses plus personnelles ? De quand datent-elles ?

Ill° f. 18r.

Les notes signalétiques ont au moins deux rôles.

Degré zéro de l’intervention du lecteur, elles sont les témoins les plus élémentaires de son activité de digestion du texte : elles indiquent de manière éloquente ce qui a été retenu par le regard intérieur.

Mais elles visent aussi à susciter l’attention d’autres lecteurs ou à nourrir d’éventuelles relectures plus attentives.

Les interventions les plus courantes jouent le rôle d’une manchette, annonçant une métamorphose par le biais d’un titre synthétique (ex. « Pyrame et Thisbé »).

Ces titres sont des marques indicielles, qui servent à compiler les tables d’index situées à la fin de l’ouvrage (f. 196v. à 199r.).

Dans la marge des f. 16v et 18r, l’annotateur A a dessiné à la plume un bras replié, brandissant un rameau au feuillage fleurdelisé.

Ces deux croquis de bras, extensions en mode majeur de l’habituel manicule, indiquent de manière élégante l’erreur du copiste, qui a interverti malencontreusement deux ensembles de vers.

Les vers II, 195-359 ont été escamotés, puis recopiés à partir du folio 18r, à l’endroit ou le vers 359 reprend.

Cette erreur est l’objet d’une note explicative, adressée au « lecteur diligent » sur les raccordements qu’il doit opérer pour s’y retrouver.

Le croquis du bras replié semble commenter à sa manière le texte d’Ovide : le bras recourbé se trouve en marge de la citation du vers II, 195 : «  Il est un lieu où le Scorpion recourbe ses bras en deux arcs ».

f. 2r, en bas à gauche

Ces interventions témoignent de l’innutrition littéraire du lecteur.

La pertinence des rapprochements permet de déceler les intérêts de l’annotateur A, qui réagit avant tout à ce qui touche à l’homme, en recherchant des vérités d’expérience et des idées à méditer.

Tel est le sens de l’insertion d’un fragment de la Consolation Philosophique de Boèce (V, 10), en marge des vers d’Ovide I, 84-86 au f. 2r, en bas à gauche.

La longue citation de Boèce confirme et développe le propos d’Ovide sur la supériorité de l’homme face aux animaux.

Selon Ovide, l’homme, supérieur aux animaux et destiné à les dominer, fut façonné à l’image des Dieux par Prométhée.

Boèce part du même constat, mais la morale qui en découle est tout autre : certes, l’homme est supérieur aux autres vivants, mais, mortel, il n’en égale pas moins les autres créatures aux yeux de Dieu.

Ces parallèles suggèrent un niveau de lecture plus avancé, ouvert à la méditation des textes, ici en résonance directe avec la lecture chrétienne d’un auteur jugé trop profane.

fol. 172r

Les exemples de ce type de notes abondent dans le manuscrit, mais sont caractéristiques de la main (B), postérieure à la main (A).

Difficilement lisibles, elles ont pu être restituées car elles proviennent toutes du commentaire des Métamorphoses par Raphaël Regius.

Il y eut plus de vingt éditions du commentaire de Regius entre 1492 (Venise, éd. princeps) et 1528 : son importance fut décisive.

La majorité des notes puisées de ce commentaire précisent des éléments de culture antique.

Au f. 172r, à propos de l’herbe Moly, évoquée par Ovide, v. XIV, 291, l’annotateur a repris la substance de la glose de Regius sur cette herbe fabuleuse (p. 144r.) : « L’herbe Moly est celle que découvrit Mercure : elle est très utile contre les venins et les maléfices, sa racine est ronde, noire, de la taille d’un oignon ; les feuilles sont semblables à celle de la scille. » Cette glose naturaliste s’inspire de Pline (Histoire Naturelle, XXV, 8, 4) ; elle est assez caractéristique de ce type d’additions : encyclopédique de nature, l’annotation élucide les aspérités du texte en débusquant l’étrangeté de ses merveilles.

fol. 194, note manuscrite de quinze lignes

Regius s’intéresse moins à la valeur morale du récit ovidien qu’à sa composition.

Il commente tout particulièrement les transitions, les articulations du récit, l’habileté avec laquelle Ovide introduit dans la trame principale de sa narration des récits seconds.

En copiant en marge du vers final d’Ovide « Iam opus exegi » (« enfin, je l’ai achevé cet ouvrage ») une longue citation tirée de Regius, l’annotateur, au f. 194, détaille la manière dont Ovide recommande à ses lecteurs son propre ouvrage.

De même qu’Horace ou Virgile, Ovide cherche, en épilogue, à la rendre digne de la postérité.

Il prédit qu’elle survivrait indéfiniment à tous les incendies, guerres ou calamités qui auraient pu la détruire et que sa valeur admirable est « promise à durer toujours et destinée à procurer le maximum de plaisir aux esprits les plus raffinés. » L’usage de verbes introductifs à la glose « ponit » (il admet que), « specificat » (il spécifie), « enumerat » (il énumère), « describit » (il décrit), « declarat » (il déclare) met souvent en valeur les intentions supposées d’Ovide.

Plus rarement, le glossateur émet un jugement personnel : au fol. 44r, on lit : « dubio » (je doute).

Hormis quelques rares interventions personnelles, la plupart des gloses du commentateur B sont donc tirées d’un commentaire préexistant.

Le tour volontiers encyclopédique de ces notes n’exclut pas, on l’a vu, un intérêt marqué pour la fabrique du texte.

note du fol. 24v.

« Ista mutacio moralis est »

Ce dernier type d’intervention est à la fois le plus rare et le plus intéressant.

Il s’agit de notes- commentaires qui témoignent d’une authentique lecture de l’œuvre.

Selon une habitude de l’époque, la note du f.24v propose une moralisation de la fable d’Ocyrhoé transformée en jument, punie pour avoir osé révéler son destin à Esculape.

C’est à cause d’une libido exacerbée que la jeune fille a été métamorphosée, car, dit-on, elle est aussi lascive que certaines juments, fécondées par le vent.

Cette glose reprend certains des éléments de celle d’Arnulphe d’Orléans selon qui la jument est un animal libidineux qui engendre sans recourir aux organes reproducteurs mâles.

Si le glossateur semble avoir suivi la grille des moralisations d’Ovide, il leur ajoute pourtant une note toute personnelle.

Il s’est visiblement plu à savourer ce récit fabuleux, tout en tirant pour lui une leçon morale inédite.

Plus qu’un dictionnaire mythologique, le texte d’Ovide devient un réservoir d’exemples édifiants.

Le poème d’Ovide a également servi de base à l’enseignement de la grammaire et de la rhétorique.

Tel est le sens de l’addition du XIVe siècle (main D), f. 1r. : « Metha est une préposition grecque, et elle a la même signification que trans ou juxta, morphosis signifie mutation ».

Cette note détaille ensuite l’usage grammatical de cette préposition.

Lorsque l’annotation est de type grammatical ou rhétorique, elle se glisse parfois entre les lignes pour épouser le texte dans ses moindres recoins.

Glose interlinéaire ou commentaire juxtalinéaire, le lecteur laisse ainsi une empreinte forte dans le tissu du texte.

Quatre mains, quatre types de notes.

Usages scolaires, d’abord : le manuscrit sert à la fois de dictionnaire mythologique et encyclopédique, de recueil d’exemples de grammaire, de figures de rhétorique ou de modèle de composition.

Instrument pour la prédication, l’œuvre d’Ovide est aussi le terrain d’une contestation : il s’agit alors de concilier le message païen et la sagesse chrétienne, de moraliser les péripéties du récit pour les adapter au sermon et ainsi d’indiquer au lecteur la vertu à suivre ou le vice à éviter.

Valérie Hayaert