1781
En 1766 dans sa propriété de Genthod, au bord du lac de Genève, Charles Bonnet prépare l’édition revue et corrigée de ses œuvres complètes.
Le savant naturaliste jouit alors d’une renommée européenne et la perspective de cette publication enchante Samuel Fauche, un petit imprimeur neuchâtelois ayant accepté d’entreprendre la réédition.
Les préparatifs finissent par prendre plusieurs longues années.
Pointilleux et perfectionniste, jaloux de son œuvre, Charles Bonnet reprend et corrige à chaque pas son éditeur, à travers des échanges parfois abrupts – notamment lorsqu’il s’agit de choisir le meilleur papier, la qualité des fontes de caractères ou le nombre de lignes de texte par page.
Ce dialogue avec les autres acteurs dans le processus de fabrication du livre se poursuit même après l’impression du livre, puisque l’on trouvera un « avis au relieur » qui explicite l’endroit précis pour l’insertion des planches gravées.
De la bonne fabrication de l’œuvre dépend la qualité de la lecture, et ces instructions de Bonnet rappellent en quelque sorte celles du manuscrit de Guido delle Colonne.
Aussitôt l’impression achevée, Bonnet se remet au travail.
La relecture engendre une campagne de corrections et d’annotations que l’auteur enregistre sur des dizaines de fiches qui sont en fait des … cartes à jouer.
Ce type de remploi pour usage littéraire ou scientifique était bien connu au XVIIIe siècle.
Rousseau a écrit ainsi plusieurs passages des Rêveries du promeneur solitaire sur des cartes, tandis qu’un ami de Charles Bonnet, le physicien Georges-Louis Le Sage, avait rempli de ses notes scientifiques plus de 30'000 cartes à jouer.
Les notes de Bonnet, qui commencent souvent par « ajoutez », sont très précises (destinées peut-être à son secrétaire, voire même à son imprimeur, en vue d’une ultime réédition) et contiennent toujours l’indication de la page et du paragraphe concerné.
Les cartes sont toutes découpées puis intercalées à l’endroit auquel fait référence la note.
Souvent – comme on peut le lire sur le verso de cette dame de cœur – le savant se réjouit de pouvoir renforcer ses premières hypothèses : « ce que je disois ici de l’augmentation possible du nombre des Planètes, vient de se vérifier par la belle découverte que le célèbre Herschel a faite » (carte insérée à la p. 8 du tome IV).
Ailleurs, Bonnet prend le temps de revenir sur une erreur et de la corriger.
Ainsi, il avoue que « tout ce que j'exposois ici sur la ressemblance de l'Orang-Outang avec l'Homme n'est point aussi exact que je l'avois présumé ».
(carte insérée à la p. 115 du tome IV).
Radu Suciu