Jean de La Bruyère

Les Caractères

1691; 1696

Si la première mention des Caractères se rencontre dans une lettre de Boileau à Racine en 1687, le projet de Jean de La Bruyère (1645-1696) remonte sans doute au début des années 1670.

En traduisant l’œuvre morale du philosophe grec Théophraste, La Bruyère fut tenté de poursuivre son entreprise en analysant à son tour les vices et travers de son époque : il réunit ces portraits d’après nature sous le titre Les Caractères, ou les Mœurs de ce Siècle.

La première édition vit le jour chez Etienne Michallet en mai 1688 et le succès fut immédiat : le livre aurait été épuisée en quinze jours.

La Bruyère travailla ensuite pendant huit ans à l’augmentation de son texte : des 420 « caractères » initiaux, on atteignit, huit ans plus tard, les 1'120 dans la neuvième édition (1696), posthume, mais encore « revue et corrigée » par l’auteur (et tout aussi anonyme que les précédentes).

Cette édition de 1691, la « sixième originale », contient 77 nouveaux caractères, comme celui du Distrait ou d’Onuphre, ainsi que le portrait de La Fontaine.

Fin observateur de son époque, La Bruyère excella en effet (surtout à partir de la quatrième édition) dans la confection de portraits brossés d’après nature, mais où la satire se trouve souvent teintée d’une indulgence amusée.

Aussi, dans les cercles lettrés parisiens, chacun s’amusait à tenter de retrouver l’original derrière les masques de fantaisie : on croyait reconnaître, par exemple, Fontenelle ou Perrault dans Cydias le bel esprit pédant.

Ces cogitations se concrétisèrent vite sous la forme de « clefs » (simples noms ou petites notices éclaircissant le contexte d’une anecdote), compilées dans de minces recueils manuscrits ou plus généralement portées par les lecteurs dans la marge de leur exemplaire.

Dans le présent extrait, on voit quelques dom juans et grandes dames légères être cités nommément dans les marges du chapitre « Des Femmes ».

Diverses traditions (les plus célèbres étant la « Clef de 1693 » et la « Clef Cochin ») coexistèrent, présentant des variantes parfois importantes.

Les plus élaborées se référaient, comme ce manuscrit, à la neuvième et dernière édition révisée par La Bruyère juste avant sa mort en 1696 : on trouve cités dans ce passage concernant le chapitre « Des ouvrages de l’esprit », les noms de Perrault, Boursault, Boileau ou Molière.

Arriva enfin une version imprimée : cette nouvelle « Clef » (souvent fantaisiste d’ailleurs dans ses identifications) vit le jour sous la forme d’un petit fascicule séparé, destiné à être joint à une contrefaçon bruxelloise des Caractères parue en 1697.

D’autres versions devaient ensuite apparaître, d’abord sous forme de minces plaquettes placées à la suite de certaines éditions pirates françaises usurpant le nom de Michallet, puis sous forme de manchettes dans les premières éditions commentées du XVIIIe siècle (notamment celle donnée par Coste en 1731, rééditée tout au long du siècle).

Nicolas Ducimetière