Gustave Flaubert

Notes pour Madame Bovary

1851-1857

Si la pratique du « gueuloir » a été rapidement connue et popularisée à travers les témoignages des Goncourt ou de Maupassant, l’important travail documentaire réalisé par Flaubert pour nourrir ses œuvres n’a guère été étudiée avant l’entre-deux-guerres et la vente aux enchères des notes et brouillons du romancier.

L’un des dossiers constitués autour de Madame Bovary montre Flaubert s’informant, aux meilleures sources, de domaines aussi techniques que la finance ou la médecine légale.

« D’abord de petites dettes, ça et là, gâchage, sans y penser. – Billets – elle gagnait du temps, le temps était tout pour elle ».

Une partie de ce dossier de dix feuillets concernait les aspects financiers du roman, cruciaux car les dépenses et la lente ruine d’Emma Bovary participèrent autant à sa chute que ses déceptions amoureuses.

Mais il fallait être crédible dans les montages financiers proposés par le marchand de tissus Lheureux, d’où une note de Flaubert pour mémoire : « S’informer : qu’est-ce que c’est que le commerce d’escompte ? » Aussi, entre brouillons de synopsis et bouts d’essais narratifs, trouve-t-on un paragraphe technique « Escompte » expliquant comment un banquier peut verser de l’argent liquide sur présentation d’un « billet échéant à trois mois », « en retenant un droit de commission et l’intérêt à un taux habituellement de 6 pour cent ».

Quant à la description donnée des derniers instants de la triste héroïne, elle dut sa précision à la fois clinique et naturaliste à la consultation par l’auteur du Traité de médecine légale du docteur Mathieu Orfila, l’un des grands spécialistes de l’empoisonnement à l’arsenic.

Les notes de lecture de Flaubert énumèrent notamment les phases successives de l’intoxication et leurs différents symptômes :

« Soif intolérable, difficulté d’uriner, crampes, froid glacial des extrémités, mouvements convulsifs partiels ou généraux. Assez souvent prostration des forces de composition, des traits de la face, délire ou libre exercice des facultés. Mort ».

Presque tous ces éléments furent repris dans le roman, sous une forme développée et intégrée à la narration, lors du récit bouleversant de la longue agonie d’Emma :

« - J’ai soif ! … oh ! j’ai bien soif ! soupira-t-elle. (…) Et elle fut prise d’une nausée si soudaine, qu’elle eut à peine le temps de saisir son mouchoir sous l’oreiller. (…) Elle se tenait immobile, de peur que la moindre émotion ne la fît vomir. Cependant, elle sentait un froid de glace qui lui montait des pieds jusqu’au cœur. (…) Elle roulait sa tête avec un geste doux plein d’angoisse, et tout en ouvrant continuellement les mâchoires, comme si elle eût porté sur sa langue quelque chose de lourd. À huit heures, les vomissements reparurent. (…) ».

Nicolas Ducimetière