XVIIIᵉ s.
Pierre-Joseph Bernard (1708-1775) partage sa vie entre les armes, la poésie et la bonne chère.
Ce n’est pas un grand poète, mais Voltaire a pour lui de l’amitié – c’est lui qui le surnomme Gentil-Bernard.
Ayant adapté librement L’Art d’aimer d’Ovide, celui-ci en soumet une version manuscrite au patriarche, qui l’annote, du moins par endroits, et distribue les bons et les mauvais points.
Dans ces deux pages, il note deux fois « bon » et une fois, en marge de « car les sots n’aiment point », « joli> ».
Mais son esprit critique et caustique trouve largement de quoi s’exercer.
A propos de « l’amour volage » et éphémère, Gentil-Bernard avait écrit : « Né d’un orage, il en a la durée ».
Voltaire trouve la métaphore ridicule : « Qu’est-ce qu’un amour né d’un orage » ?
Si Voltaire relève quelques jolis vers, il en note aussi beaucoup de mauvais : « C’est un mélange de sable et de brins de paille, avec quelques diamants bien taillés », dit-il du poème, et encore : « C’est un des plus ennuyeux poèmes qu’on ait jamais faits », même s’il compte « une trentaine de vers admirables ».
Voltaire s’arrête ici à deux pages où il trouve beaucoup à reprendre, et de quoi s’amuser.
Apollon, dit le poète, aima Vénus, mais tant d’éclat effraie celle-ci : « Et la Déesse évitant ses regards, Pour se cacher prit les tentes de Mars ».
Une note interlinéaire plaisante : « Comme si Vénus n’avait couché avec Mars que pour ne pas se montrer nue à Apollon » !
Mais un lecteur n’est pas fait d’esprit seulement.
Avec ce manuscrit, dont quelques pages portent des taches de café, ici à gauche en bas, on pénètre dans l’intimité domestique de Voltaire, on le surprend qui, en lisant la plume à la main, sirote son café – et il en buvait, dit la légende, jusqu’à 75 tasses par jour !
Michel Jeanneret