Justinien

Codex Iustinianus : Digestum vetus

XIVᵉ s.

Ill° 1 f.1r

Au XIVe siècle, les textes de référence du droit romain sont systématiquement munis de gloses abondantes.

Le copiste a d’abord ajouté une première glose encadrante, celle de François Accurse [ca 1185-1263], auteur de la Glossa ordinaria, dite « la grande Glose ».

Ce travail d’explication et d’instruction est l’aboutissement de toute une tradition interprétative, celle que les juristes médiévaux, depuis la fin du XIe siècle, ont patiemment menée, au moyen d’une exégèse méticuleuse des textes que l’on redécouvrait peu à peu.

La grande Glose d’Accurse, somme scientifique de cette école, avait ainsi acquis le caractère de vraie loi interprétative au sein de la codification justinienne.

Le texte central était littéralement enchâssé par d’épaisses concrétions de commentaires à visée explicative, qui étaient bien plus étendues que le texte lui-même.

Le but de ces gloses n’était pas uniquement pédagogique, elles servaient également aux praticiens qui se tournaient vers cette sagesse accumulée pendant des siècles pour qu’elle leur serve de guide afin de régler certaines questions sujettes à controverse.

L’invective célèbre de Rabelais à l’égard d’Accurse, qui aurait sali les lois impériales en les « bordant de merde », ouvrira au seizième siècle la voie d’une critique particulièrement virulente du compilateur de Justinien, le chancelier Tribonien.

Ill° Choix de manicules

Des manicules (lat. manicula, ae « petite main ») variées signalent que les lecteurs ont très différemment « digéré » ce texte aride.

L’appellation de « Digeste » (lat. Digesta), renvoie à un recueil méthodique de droit, et suppose une lecture active, dynamique et participative.

Loin du « Reader’s Digest » qui est au prêt-à-penser le pendant du prêt-à-porter, la compilation de Justinien est d’abord une collecte de fragments, qui vise à réduire le droit classique romain pour en fournir une encyclopédie ordonnée, par le biais d’un travail intellectuel comparé à la digestion de l’estomac.

Méthode qui ne va nullement de soi : il faut prendre le temps, digérer lentement ces fragments car ils ont force de lois.

Sartre déplorera l’habitude des digestes tout faits : « Les pays s’inondent réciproquement de « Digests », c’est-à-dire, comme le nom l’indique, de littérature déjà digérée, de chyle littéraire » (Situations II, p. 267) tandis que Descartes montre que la métaphore est encore vive au XVIIè siècle : « Ceux qui ont le raisonnement le plus fort et qui digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils proposent. » (Discours de la méthode, I).

Ill° 2 f. 113 petit croquis à la plume d’un cheval et d’un chien attaché.

Le Digeste vieux, première partie du Corpus Juris Civilis, se présente comme un corps organique de normes, formé d’œuvres certes disparates mais réunies sur volonté impériale en une série symboliquement homogène de livres : les articles d’une seule et unique loi.

La glose médiévale adapte les textes de référence du droit romain à l’usage du temps, et propose un ensemble de normes en vigueur.

En marge du f. 113v., on a glissé un petit croquis à la plume d’un cheval et d’un chien attaché.

Ce croquis illustre une disposition concrète : l’obligation, pour le propriétaire d’un chien, de le tenir en laisse dans les lieux publics.

Ill° 3 montrer une page où les gloses saturent totalement l’espace de la page.

Comme l’a montré Pierre Legendre, les divers fragments du Corpus Juris Civilis constituaient, aux yeux des glossateurs et selon les impératifs de l’empereur, une seule loi, appréhendée selon un continuum intangible.

Le Corps de Droit Civil, symétrique du Corps de l’Empereur, était considéré comme un tout.

Au VIe siècle, lorsque Justinien ordonne la publication du Corpus Juris Civilis, qui modèlera pour plusieurs siècles la tradition du droit romain occidental, il interdit expressément tout commentaire des lois édictées.

Seules les paraphrases directes (paratitla) c’est à dire les explications succinctes et littérales de la lettre même du texte (kata poda, « au pied de la lettre ») sont admises.

Cette interdiction sera bien entendu violée et les gloses parasites vont se multiplier, jusqu’à étouffer le texte.

Les gloses secondaires, greffées sur le corps de celui-ci, comme autant d’accessoires pour le comprendre, cherchent à résoudre les nombreuses antinomies du texte de référence : mais ce faisant, le motif principal devient lui-même accessoire.

Ill° détail du triple système de renvois - zoom f. 1r.

L’analyse de la disposition du texte sur la feuille de parchemin montre quelques-uns des traits caractéristiques de la tradition manuscrite du livre juridique.

Le système des renvois est particulièrement sophistiqué ici : on en distingue au moins trois types.

Renvois d’ordre alphabétique, renvois signalés par une gamme de points ou bien de trèfles plus ou moins stylisés.

Comme le texte à commenter, disposé en deux colonnes centrales, donne souvent lieu à plusieurs strates de gloses, il convient d’indiquer si la glose est une glose du texte central ou bien une glose de la glose.

Le trait principal de ce style ancien de commentaire demeure l’usage intempestif des abréviations.

Avant la fin du XVIe siècle, ces abréviations souvent peu systématiques sont de moins en moins bien connues.

Génératrices d’erreurs, elles seront progressivement délaissées au tournant du siècle.

Des manuels répertoriant les contractions usuelles des manuscrits seront publiés à l’intention des débutants.

Ill° Billet au lecteur (f. 37) + mention Ovidius /Vergilius dans la marge

Un des annotateurs du manuscrit a pu être identifié précisément : il s’agit du juriste italien Angelus Boncambius (ca 1450), auteur d’un poème au lecteur, signé de sa main, qui figure sur un feuillet détaché entre le f. 37 et le f. 38.

C’est sa main qui relève en marge la mention d’Ovide et de Virgile.

Il montre que les poètes ont leur place dans le Digeste, qui est, selon Budé, une anthologie littéraire tout autant qu’un recueil de décisions de droit.

Cette disposition de la note, sous forme de marginalia externes, offre l’avantage d’un texte moins disjoint et moins encombré.

La glose déploie les aspérités du texte en le commentant mot à mot, ou bien en suscitant, à partir d’un point de doctrine, des questions de droit (quaestio juris) qui permettent à l’apprenti juriste de se frotter au métier d’avocat par l’analyse de cas concrets.

L’annotateur consigne un cas (casus) dans les marges prévues à cet effet et s’exerce à le résoudre, au moyen d’un éventail de questions et réponses.

Valérie Hayaert