Isaac Newton

Philosophiae naturalis principia mathematica

1687

deuxième moitié de la page 41

En 1926 la bibliothèque de Göttingen fait le ménage : un doublon lourdement annoté de la première édition des Principia mathematica d’Isaac Newton est mis en vente, la bibliothèque voulant garder uniquement l’exemplaire « propre ».

Jugées sans intérêt à l’époque, ces notes marginales s’avèrent plus tard être de la main de G.W. Leibniz.

L’un des plus importants livres de l’histoire des sciences, les Principia énoncent les fameuses lois du mouvement, situées au fondement de la mécanique classique, ainsi que la loi universelle de la gravitation.

Rédigés dans le plus pur langage mathématique, les Principia représentent l’un des livres les plus difficiles à lire, accessible, selon l’aveu de Newton lui-même, à un très petit nombre de lecteurs.

A propos du troisième livre, Newton disait l’avoir écrit d’abord « par une méthode moins mathématique, afin qu’il pût être à la portée de plus de personnes.

Mais de crainte de donner lieu aux chicanes de ceux qui ne voudraient pas quitter leurs anciens préjugés », il préfère l’abstraction mathématique au discours de vulgarisation.

deuxième moitié de la page 31

Faisant évidemment partie de ce cercle d’initiés, Leibniz a laissé des notes qui ne sont jamais oiseuses et qui se concentrent toujours sur des points névralgiques des Principia.

Il note ses objections avec une certaine tendance à rechercher les fautes.

Ici, il s’amuse à citer Horace : « Quandoque bonus dormitat Homerus » – « le bon Homère lui-même sommeille quelquefois » (p. 31).

Ailleurs, lorsqu’il estime avoir repéré une faute, il note simplement « error » (p. 105) ou « haec hypothesis mihi dubia est » (p. 373).

Si Leibniz se réjouit de pouvoir enclencher ou entretenir la polémique, il ne conteste pas les mérites du savant anglais.

Au contraire, il écrira plus tard à Christian Huygens : «Après avoir bien considéré le livre de M. Newton que j’ay vu à Rome pour la première fois, j’ay admiré comme de raison quantité de belles choses qu’il y donne » (lettre datée d’octobre 1690).

Rien de ces annotations ne laisse donc présager la longue dispute qui opposera plus tard les deux savants au sujet de l’invention du calcul infinitésimal.

page 50

Les annotations surgissent parfois avec davantage de force, signe que Leibniz s’affaire à saisir en profondeur les propositions avancées par Newton.

Des formules mathématiques envahissent alors proprement la page, comme ici au sujet des orbites elliptiques, où l’annotation manuscrite assiège pratiquement le graphique newtonien.

Mais la plupart du temps les interventions de Leibniz prennent la forme de quelques traits ou de brefs raisonnements mathématiques.

p. 48 : les rousseurs sont visibles au dessus de l’annotation, mais faut-il le signaler explicitement ?

Ce caractère succinct s’explique par les conditions matérielles dans lesquelles s’est déroulée cette campagne d’annotation.

On se demande quand Leibniz, en voyage à Rome, occupé à débattre avec ses confrères mathématiciens, des jésuites et des jansénistes, a trouvé le temps d’annoter les Principia.

D’étonnantes traces d’usage physique apportent un élément de réponse et complètent le portrait de cet illustre lecteur à l’œuvre.

Au retour de ses affaires quotidiennes, il se peut que Leibniz lût le soir, tout en fumant la pipe.

Les rousseurs prononcées qui touchent, parfois traversent même, surtout les pages annotées pourraient être les marques de brûlures provoquées par des brandons. 

Radu Suciu