François-Louis Schmied

Jean Dunand

Ernest Renan

Le Cantique des cantiques

1925

Page V en entier

François-Louis Schmied (1873-1941) était tout à la fois éditeur, imprimeur, typographe, peintre et graveur sur bois.

S’il a surtout fait carrière à Paris, il conservera sa vie durant des attaches avec sa ville natale, Genève.

Schmied a conçu des reliures parlantes pour ses pièces maîtresses.

Il s’intéresse à cet art avec des yeux neufs, à partir de matériaux peu usités tels que métaux, laque, nacre, peaux de reptiles et de batraciens.

Fervent sympathisant du mouvement Arts and Crafts, il cherche surtout à établir une harmonie entre le texte et son enveloppe.

Cette recherche de concordance entre le texte du Cantique et l’ornementation de la reliure est l’objet d’une fructueuse collaboration.

En 1925, il commande à son ami Jean Dunand, qui maîtrisait à la perfection le procédé du laquage venu de Chine et du Japon, des laques en métal.

Sur les plats d’une reliure en maroquin crème, ornés de filets dorés formant des fenêtres, on distingue (plat supérieur) trois petits laques qui reprennent trois motifs développés dans le corps et l’illustration du texte.

Le premier laque représente un paysage stylisé animé par une prairie et des vignes et fait écho, notamment, à ce verset : « Que tes seins soient pour moi les grappes de la vigne » ;

le second laque figure un troupeau de brebis paissant :

« Dis-moi, ô toi que mon cœur aime, où tu mènes tes brebis ».

Le troisième laque interprète le motif emblématique du feu de Jéhovah, symbole de l’amour-passion.

En illustration du texte :

« L’amour est fort comme la mort ; la passion est inflexible comme l’enfer. Ses brandons sont des brandons de flamme, des flèches du feu de Jéhovah »,

Schmied a repris cette icône, l’a agrandie et réinvestie (voir page suivante).

Ce qui n’était qu’un motif stylisé sur la reliure devient une image à méditer, qui figure avec habileté la richesse de la chaîne de comparaisons évoquées par le texte biblique.

Les contreplats de cette reliure parlante sont recouverts de fourrure de chevreau, tachetée de brun et blanc.

Le choix de cette peau, rappelle, là encore, les troupeaux de chèvre, récurrents dans le Cantique.

Illustration page XXI en entier.

La nouvelle traduction du Cantique des Cantiques par Ernest Renan est aussi une nouvelle lecture de l’œuvre.

Le chant d’amour de la Bible est d’abord l’occasion d’une étude philologique poussée.

Renan en propose surtout un nouveau découpage sous forme de pièce de théâtre.

En démontrant que le Cantique repose sur des indications scéniques et un dialogue articulé, il prend le contrepied des exégèses symboliques qui faisaient de ce texte une allégorie des amours contrariées entre Yahwé et Israël.

Dramatisé et mis en scène, le texte n’en est que plus lisible.

Dans l’édition du texte, Schmied a restitué les paroles du bien-aimé en le signalant par des guillemets et une ponctuation émotive.

Zoom sur la page XXVII (ornements et vignette)

L’attention que le typographe porte au rapport entre le volume dédié au texte et le poids laissé à l’image est constante.

Schmied est sensible aux possibilités qu’ouvre la recherche d’une harmonie entre l’ordonnance typographique et la quête d’effets de sens inattendus.

Ici, il a choisi d’isoler le fragment « Je suis noire, mais je suis belle, » légende d’une figure pleine page représentant une splendide Sulamite aux seins dénudés.

Cet effet, cas unique dans le livre, est immédiat ; on affirme, un peu avant la lettre : « Black is beautiful ».

Schmied possédait une collection de statuettes africaines.

Il a également été influencé par la miniature persane, dont on retrouve ici la finesse du dessin fermé, l’absence de perspective et l’intensité des couleurs posées en aplat, sans nuances.

Valérie Hayaert