1598
En 1596, deux navires quittent Amsterdam et s’aventurent dans les eaux glaciales de l’Océan Arctique pour chercher, le long des côtes de Sibérie, le passage du Nord-Est, qui conduirait en Chine.
La flotte est dirigée par Willem Barentsz, qui donnera son nom à la mer de Barents, au nord de la Norvège.
Le menuisier du bord, Gerrit de Veer, tient un journal, dont l’édition est généreusement illustrée.
Voici les bateaux dont les navigateurs, avant même d’arriver dans les glaces, découvrent une merveille : « à chaque côté du soleil était un autre soleil luisant », explique la légende, et autour d’eux, quatre arcs-en-ciel se déploient.
Miracle ? Un mirage, plutôt, reconnu aujourd’hui sous le nom de « Novaya Zemlya Effect ».
Le phénomène est authentique, mais il donne à l’exploration une allure de mystère.
La suite va nous montrer que l’illustrateur est un fin lecteur, qui sait capter, dans le récit des petits faits quotidiens, les événements sensationnels.
L’expédition de 1596 est la troisième d’une série ; les deux premières (1594 et 1595), dont les relations sont réunies dans le même volume, ont déjà entraîné des Hollandais dans les mers du Nord-Est.
Par deux fois, ils ont dû renoncer à mi-chemin, repoussés par le froid, la maladie et les bêtes sauvages.
Mais la récompense promise à ceux qui parviendront en Orient semble plus forte que les risques.
A peine arrivés dans la zone des glaces, les marins rencontrent leur premier ours, « cruel et felon », qui menace de faire sombrer la barque sortie pour l’attaquer.
Plusieurs vies auront été exposées pour ramener une fourrure.
L’image suggère la force de l’animal et la brutalité du massacre.
On distingue à l’arrière-plan des blocs de glace, que les navigateurs, à première vue, ont pris pour des cygnes blancs !
Plus on avance dans les glaces, plus l’illustrateur trouve dans le récit du journal de bord des épisodes dont l’image, mieux que les mots, exprime le romanesque et le pathétique.
L’un des navires a heurté ici un iceberg ; le gouvernail est brisé.
Des hommes tentent de gagner la terre dans une barque ; on en voit qui roule un tonneau pour sauver quelques vivres.
À droite en haut, on voit tomber la neige.
Les drapeaux flottants indiquent la force du vent.
Le récit nous apprend que quatre heures après le choc, l’iceberg s’est retiré, libérant le bateau.
Ce qui aura été un accident de parcours a été transformé, grâce au pouvoir de l’illustration, en une catastrophe mémorable.
L’expédition est partie au mois de mai ; on est maintenant en septembre ; les glaces sont de plus en plus compactes et le temps, de plus en plus froid.
Les marins décident d’hiverner et de sauver leur peau en construisant une maison.
Par bonheur, ils trouvent du bois flottant dans la mer et récupèrent du matériel sur les navires.
Dans cette image, les hommes utilisent les barques pour transporter le bois à l’endroit choisi.
La scène est plus calme que les autres, mais les navigateurs, sur le qui-vive, portent leurs armes.
La représentation, fort improbable, du bateau perché sur un iceberg, à l’arrière-plan, suggère que l’illustrateur, livrant une vision très personnelle, est plus un lecteur-interprète qu’un témoin direct.
Voici encore une alerte.
Trois ours attaquent la troupe occupée au transport du matériel.
Les barques, chargées de bois et de vivres, ont été abandonnées.
Les uns fuient sur le bateau.
Deux autres, plus braves, affrontent les animaux, pour protéger les biens, mais sauver surtout un de leurs amis, tombé dans une crevasse et coincé dans la glace.
Voici la maison, soigneusement colmatée, enfin construite.
La cheminée fume : on fait des feux de houille.
On peut se demander pourquoi un homme se tient sur le pas de la porte.
Le journal de bord raconte que les marins, pour arrêter le froid, ont bouché la cheminée et que, endormis, ils ont failli mourir asphyxiés.
En voici un qui respire l’air pur, tandis que d’autres construisent des trappes à renards.
À l’arrière, quelques animaux rôdent autour de l’abri.
Des fouilles sur l’ile de Nova Zembla ont permis de retrouver les traces de cet abri de fortune.
La bande dessinée des aventures du Grand Nord, telles que l’illustrateur les reconstitue en imagination, continue, mais celle-ci sera notre dernière image.
La suite montre comment les navigateurs épuisés, incapables de dégager les navires de leur prison de glace, parviennent à se sauver sur les barques, en laissant en route quelques morts, dont le chef de l’expédition, Barentsz.
Un film hollandais, Nova Zembla (2011), offre une autre version, spectaculaire, du même récit.
Michel Jeanneret