première moitié du XIVᵉ s.
Ce poème latin, qui date d’environ, 1200 vante les vertus thérapeutiques des eaux thermales de Pouzzoles, dans la région napolitaine.
Le texte seul, médical et technique, n’est pas très attrayant.
Les illustrations font la différence.
Pour chacune des trente-cinq sources, on a, en pleine page, une image détaillée, pittoresque, qui ne représente pas seulement le site – des cavernes ou des pavillons voûtés où se baignent les malades -, mais entoure la cure de toute sorte d’allusions mystérieuses, païennes ou chrétiennes, qui confèrent à ce guide illustré un pouvoir d’attraction exceptionnel.
Le luxueux manuscrit que voici remonte au milieu du XIVe siècle.
Plus d’un siècle s’est écoulé depuis la création du poème et du programme iconographique.
Les illustrations relèvent d’une esthétique nouvelle qui accuse, disent les historiens de l’art, l’influence massive, et toute récente, de Giotto.
Avec Pierre d’Eboli, l’auteur de ce poème, nous sommes à la charnière des XIIe et XIIIe siècles, dans le milieu fastueux du Royaume de Sicile, sous le règne des empereurs Hohenstaufen qui, au croisement des cultures arabe, byzantine, latine et chrétienne, favorisent la création artistique et le progrès des sciences, notamment la médecine, avec la fameuse école de Salerne.
A cette époque opulente répond un décor magique : la baie de Naples, ses charmes mais aussi ses traditions sulfureuses.
A l’ouest de la ville s’étend une région volcanique, les Champs Phlégréens, dont les sources aux pouvoirs curatifs étaient déjà exploitées par les Romains.
A deux pas, avec Cumes et son antique sibylle, avec le lac Averne et sa porte ouverte sur les enfers, on côtoie le monde souterrain et les phénomènes surnaturels.
Les bains s’enracinent dans cet environnement mythique mais agrègent aussi des rites et des superstitions chrétiens, qui voisinent à leur tour avec les croyances de la médecine médiévale – la théorie des quatre humeurs, les soins du corps et de l’esprit par l’équilibrage des quatre éléments.
Poème 1, texte + image Les poèmes se contentent souvent de décrire le lieu et d’énumérer les maladies qu’il soigne, mais les images en disent plus, comme si l’enlumineur, au lieu d’illustrer seulement le texte, le complétait et le commentait.
Voici par exemple le « bain sudatoire », dont la représentation s’étage sur deux niveaux.
En haut, une malade est soignée dans une grotte, tandis que, par allusion à une légende, un saint, en bleu, délivre un pénitent qui expiait ici ses fautes.
La légende précise : « Cripte ubi hospitantur infirmi » (cryptes où sont hébergés les infirmes).
Sous terre, dans une salle voûtée, de l’eau chauffe dans un grand vase, provoquant la transpiration qui évacue les humeurs morbides.
Des corps se pressent, sans âge ni sexe distincts, désignant peut-être, de la main, leurs membres malades.
Un patient puise de l’eau au lac voisin.
Chose curieuse : tandis que le poème précise que ce lac, digne d’une région proche des enfers, est « plein de grenouilles et de couleuvres », le peintre y a installé des oiseaux.
Peut-être a-t-il voulu atténuer l’horreur du lieu et symboliser l’espoir de guérison ?
En haut, la scène documentaire : un bain au bord d’un lac, dans un pavillon divisé en deux pièces : à gauche, un patient se prépare ; à droite, les malades se plongent dans l’eau curative.
Mais l’essentiel est dans la partie inférieure où l’enlumineur explique les vertus quasi miraculeuses de ces eaux.
Les bains de Pouzzoles voisinent la mythique entrée des enfers, près du lac Averne – enfers païens dans lesquels le Moyen âge reconnaît une figure de l’Enfer chrétien.
La légende, à la charnière des deux scènes, oriente l’interprétation : « Lacus Astare in quo Christus portas inferni fregit » (lac Astare, où Christ a brisé les portes de l’enfer).
Jésus, dit l’Evangile, est descendu au séjour des morts pour défaire les puissances du Mal.
Le voici, au bord du même lac, qui a renversé les portes de l’Enfer et domestiqué les monstres, transformés en volailles inoffensives.
La proximité des bains et du geste salvateur du Christ suggère que si les eaux de Pouzzoles guérissent, c’est qu’elles participent de la purification et du salut opérés par le Rédempteur.
Remontant au haut de l’image, on peut reconnaître alors dans l’immersion des malades une scène de baptême : l’eau qui assainit les corps purifie aussi les âmes.
Michel Jeanneret