René d’Anjou

Le mortifiement de vaine plaisance

vers 1470

Char tiré par 2 chevaux

Le Mortifiement de vaine plaisance : comprenons qu’il s’agit d’étouffer en nous les désirs coupables, incarnés par le cœur.

La leçon est rébarbative, mais, puisqu’il en va du salut, les auteurs vont déployer, par mots et images, les grands moyens.

Comment donc rendre attrayante une méditation, chagrine et austère, sur les errances de la passion et sur l’urgence de se purifier de ses fautes ? L’exhortation du bon Roi René prend l’allure d’un grand drame pathétique et elle recourt, pour frapper le lecteur, à des images qui, tour à tour pittoresques et bouleversantes, contribuent puissamment à communiquer le message.

Le roi René d’Anjou (1409-1480) veille à l’édition de ses œuvres en manuscrits magnifiquement calligraphiés et illustrés, dont on a ici un bel exemple.

Les huit images pleine page de ce manuscrit sont l’œuvre de Jean Colombe (vers 1430-1493), célèbre artiste de Bourges, qui a participé, entre autres ouvrages fastueux, à l’illustration du fameux manuscrit des Très riches heures du duc de Berry.

Imaginons que, comme des simples, nous ne sachions pas lire ou que le récit, terriblement didactique, nous tombe des mains, et suivons le fil des enluminures pour reconstituer cette lutte existentielle.

Dame en blanc serre cœur rouge

Voici d’abord l’incarnation de l’âme, une dame très pure et recueillie ; elle serre le cœur rouge, gonflé de passions mauvaises, qui cause son tourment.

La précarité de cette cohabitation est figurée par la cahute délabrée de l’âme inquiète : un dallage en morceaux, des murs fragiles et troués qui menacent de s’effondrer.

Une demeure solide – le séjour des bienheureux – se profile à l’horizon, encore lointaine.

Dame en blanc serre cœur rouge

Devant l’âme prostrée (mais sa maisonnette est déjà moins abîmée) se présentent deux dames, qui vont la guider sur le chemin du salut.

À gauche, Crainte de Dieu, sur la tête de laquelle repose une épée portant l’inscription « Divine Justice ».

À droite, Contrition, qui porte les verges avec lesquelles elle fait pénitence.

tribulations du cœur rouge

Convaincue par les exhortations de Crainte de Dieu et Contrition, l’âme leur confie le cœur, afin qu’elles le purifient.

Elle n’est déjà plus dans sa maison en ruines, et plus près du château de la vie béatifique.

tribulations du cœur rouge

Crainte de Dieu et Contrition ont apporté le cœur dans un jardin paradisiaque, verdoyant et fleuri.

Quatre autres dames prennent le relais.

Les trois vertus théologales - Foi, Espérance et Vrai Amour - , armées d’un maillet, clouent le cœur sur la Croix où est mort le Christ pour racheter les péchés du monde.

A gauche, auréolée de lumière, Grâce divine, avec son épée, ouvre le cœur, d’où s’échappe la « vaine plaisance » dans un flot de sang.

La Croix a purifié le cœur.

Crainte de Dieu et Contrition peuvent maintenant le remettre à l’âme qui, à genoux, rend grâces.

la femme et le pont

En plus de cette bande dessinée qui double le récit, le manuscrit contient trois enluminures qui illustrent trois paraboles, placées par le roi René au cœur de son texte pour donner une forme tangible à l’infinie bonté de Dieu.

Ces fables sont un peu longues et laborieuses ; les images ramassent l’essentiel en un coup d’œil.

La première illustration figure en tête de ce dossier.

Regardons les deux suivantes.

Nous reproduisons, pour chacune, les explications de Michel Zink, dans sa Préface à l’édition en fac similé du manuscrit.

« Une pauvre femme, après avoir peiné toute l’année dans son champ, porte au moulin le blé qu’elle a récolté.

Mais elle doit franchir une rivière sur un pont ruiné et vermoulu.

Elle hésite à s’y engager.

Un voyageur l’invite à choisir de deux maux le moindre : si elle reste là où elle est, elle mourra de faim ; autant franchir le pont prudemment […].

La pauvre femme suit ce conseil, parvient au moulin, et elle obtient, avec son blé, assez de farine pour être rassasiée toute sa vie.

La vieille femme, c’est l’effort constant que nous devons faire pour parvenir à la vertu, figurée par la farine.

Le torrent, c’est la colère divine, le moulin, la gloire du paradis. »

ville assiégée

« Un capitaine vaillant et juste [assiège] une ville peuplée de gens sans foi, sans loi et sans justice.

Les murs sont ébréchés par les bombardes, les fossés comblés de pierres.

Vient le moment de l’assaut final.

Le capitaine fait publier à son de trompe qu’il donnera sa fille en mariage au premier qui entrera dans la ville.

Un brave se présente et, conseillé par le capitaine, appuie solidement son échelle au mur, la fixe avec une pierre, la gravit en s’abritant de son bouclier.

Il escalade la tour, met en fuite les ennemis, reçoit la main de la jeune fille […].

La ville assiégée, c’est le monde, ses habitants, les vices et les plaisirs.

Le capitaine, c’est Jésus-Christ, le brave soldat, le “bon désir” qui obtiendra la gloire du paradis. »

Michel Jeanneret