Rodolphe Töpffer

Voyages et aventures du Docteur Festus

1840

Voyages et aventures du dr. Festu – première page

Ecrivain et dessinateur genevois, Rodolphe Töpffer (1799-1846) s’emploie à illustrer un exemplaire de cet étrange roman publié en 1840.

Le volume de la Bodmeriana montre comment l’auteur, lecteur de lui-même, tire profit de chaque espace blanc sur la page : des vignettes expressives viennent compléter une prose résolument picaresque.

Töpffer insère des croquis dans les espaces blancs séparant les chapitres, ainsi qu’à la fin des six livres.

L’illustration manuscrite s’accommode à la disposition typographique de la page imprimée.

Voyez par exemple comment la première ligne du titre («Voyages et aventures ») sert à Töpffer de point d’appui pour ce personnage pensif, et semble-t-il, en robe de chambre : prélude des infortunes loufoques et dérisoires d’un maire qui changera maintes fois d’habit et succombera presque à la mélancolie.

Grand admirateur de Laurence Sterne et de son Tristram Shandy, Töpffer imagine à travers ce roman curieux et déconcertant une cascade d’embrouilles comiques, de syllogismes absurdes et de découvertes pseudo-scientifiques.

Le Dr. Festus, dont l’allure ressemble à celle du Dr.

Syntax, héros du caricaturiste anglais Thomas Rowlandson, part pour son « grand voyage d’instruction » : chemin faisant, il se retrouve en robe de chambre, se fait projeter dans l’espace par les ailes d’un moulin à vent et traverse les nuages chevauchant un télescope.

Pot de chambre

Töpffer s’amuse à reprendre des scènes impudiques, autrefois écartées.

Voici comment le Dr. Festus, ayant malencontreusement éteint sa bougie, renverse par mégarde le pot de chambre d’une Milady.

En fait, cette scène faisait partie d’une première version du roman, prête dès 1833.

Goethe en avait, semble-t-il, admiré des dessins préparatoires (celui-ci découvre Töpffer pratiquement en même temps que les illustrations de Delacroix pour son Faust ).

Mais les amis genevois de Töpffer déconseillent à celui-ci de diffuser la version de 1833, en raison du caractère passablement « gaulois » de certains épisodes, comme celui-ci.

Si Töpffer le retire en effet de la version imprimée de 1840, il s’amuse à le remettre, sous forme de croquis manuscrit – souvenons nous qu’il s’agit d’un exemplaire destiné à un usage privé.

La malle de voyage

Toujours sans bougie, le Dr. Festus finit son périple nocturne dans une malle de voyage qu’il prend pour un lit – c’est la valise de Milady.

Regardez le profil du docteur endormi au milieu des habits de l’Anglaise; il est en paix, tel un pape qui repose pour l’éternité… Que vient donc faire, au milieu de l’image, cette cheville dangereusement dénudée ? Elle n’a rien de licencieux.

Retournant à son lit, Milady marche sur la poitrine du docteur et trouble horriblement les rêves à caractère métaphysique de ce grand explorateur : « Milady (…) mit le pied dans la malle pour remonter sur son lit, et aussitôt le docteur Festus entra en cauchemar (…) Aussi, comme il était à rêver paisiblement que, couché dans un pré, il voyait sur la croupe de son mulet la formule du Binome, tout-à-coup il rêva de plus qu’un énorme syllogisme, sous la figure d’un taureau à qui on avait bandé les yeux, lui labourait les côtes à coups de sabot, pour lui imposer une conviction absurde au sujet dudit Binome ».

Radu Suciu