Lefèvre d’ Étaples

Quincuplex psalterium

1513

Photo d’une page avec 3 colonnes (exemplaire BGE)

Voici, en latin, trois versions différentes d’un psaume – et il y en aura deux autres plus loin dans le livre ! Des variations dans le texte de la Bible, n’est-ce pas troublant ?

Lefèvre d’Étaples (env. 1460-1536) est l’un des savants qui, au début du XVIe siècle, préparent le chemin de la Réforme en pressant l’Eglise, qui à leurs yeux trahit l’esprit de l’Evangile, de revenir à l’unique fondement de la religion : la Parole divine.

On imprime donc la Bible, on la traduit, en latin d’abord, dans les langues vulgaires ensuite, et, retournant aux sources, on découvre que le texte qui a fait foi pendant le Moyen âge, la Vulgate, contient des fautes ! Au même moment, Erasme a l’audace de publier une nouvelle version, plus fidèle aux originaux grecs, du Nouveau Testament (1516), et soulève l’indignation des défenseurs de la tradition.

Relue et corrigée, la Bible bouge, et l’Eglise, quelques années plus tard, va se déchirer.

Photos d’une ou deux pages du psaume x (à choix), avec les 3 colonnes + photo du même psaume x avec les deux versions en fin de volume

Les trois versions que Lefèvre confronte d’abord, rangées en colonnes, remontent toutes à saint Jérôme (env. 347-420) :

Psalterium gallicum : c’est le texte de la Vulgate, d’abord diffusé en Gaule puis adopté par toute la chrétienté ; traduit à partir d’une version grecque.

Psalterium romanum : rédigé à Rome, ou à l’usage de l’Eglise romaine ; son attribution est contestée.

Psalterium hebraicum : traduit de l’hébreu, donc, selon Lefèvre, plus fiable.

Dans la seconde moitié du livre, Lefèvre donne encore deux versions :

Psalterium vetus : traduction antérieure à celles de saint Jérôme.

Psalterium conciliatum : version établie par Lefèvre, qui retient le texte le plus probable, corrigeant en général le psalterium gallicum par l’hebraicum.

Les modifications sont signalées par une étoile rouge.

Est-ce à dire que l’Eglise va devoir modifier les psaumes qu’elle récite ? Le traducteur s’arroge ici un pouvoir considérable !

Photo p. 9 v :psaume 8, v.3sqq + p. xxx r : psaume 8 (2 dern. versions)

« O Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! (…) ».

Le psaume 8, un hymne à la louange de l’Eternel et des merveilles de la création, est fameux.

Mais comment rendre au plus près le texte du roi David ? Dans les versets 3-5 et 7-9, les traductions de saint Jérôme présentent des différences, mais qui, limitées au vocabulaire et au style, n’affectent pas le sens.

Les écarts du verset 6 sont plus sérieux.

Les psautiers gallicum et romanum disent : « à peine le fis-tu moindre que les anges », tandis que l’hebraicum dit : « … moindre que Dieu ».

Pour trancher, il faut décider qui est ce « fils de l’homme » dont parle le psalmiste.

Fidèle à sa perspective christologique, Lefèvre n’hésite pas : c’est de Jésus que, par prophétie, il est question.

Or, il est impensable que le Christ soit fait inférieur aux anges, puisqu’il est dit ailleurs que les anges l’adorent ! Son abaissement ne peut se faire que par rapport à Dieu le Père.

La version selon l’hébreu est donc la bonne : c’est elle que Lefèvre retient dans son texte conciliatum.

En revanche, Lefèvre, confronté, dans ce même verset, à un choix entre des verbes au passé (dans le gallicum et le romanum) et au futur (dans l’hebraicum) préfère le passé, plus logique et conforme au contexte.

Photo d’une ou deux pages avec surtout du commentaire, si possible les 4 catégories (à choix, avant ps. 25)

La Bible où parlent Dieu et ses prophètes présente des zones d’opacité, que ce soit parce que le texte original a été altéré, comme on l’a vu, ou parce que le sens, plus ou moins caché, doit être interprété.

Le lecteur-traducteur se double donc d’un lecteur-commentateur.

Il s’agit surtout, pour Lefèvre, de montrer que l’ensemble du psautier annonce la venue du Christ.

Il distribue ses explications en quatre catégories :

Le Titulus esquisse le contexte général, parfois historique, le plus souvent spirituel, du psaume.

L’Expositio continua propose une paraphrase de chaque verset.

La Concordia énumère, pour chaque verset, les passages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui « concordent », c’est-à-dire ont quelque chose en commun.

L’Adverte commente les différences textuelles et propose une explication philologique, pour développer ensuite les enjeux théologiques et spirituels du choix opéré.

Michel Jeanneret