Biblia sacra, hebraice, chaldaice, graece et latine

1568-1572

frontispice du premier volume

En 1568, le théologien Benito Arias Montano, alors âgé de 40 ans, est chargé de la mission la plus importante de sa vie : partir aux Pays-Bas pour prendre en main l’édition de la Bible polyglotte qui allait être imprimée par le grand imprimeur anversois Christophe Plantin sous les auspices du roi espagnol Philippe II.

Sur le conseil des théologiens d’Alcala et de Salamanque, le roi appela de ses vœux une édition de la Bible en cinq langues, qui surpasserait la Bible polyglotte d’Alcala (1514-1522) en trois langues parue sous la direction du cardinal Ximénès, devenue indisponible.

Plantin avait proposé l’idée d’inclure deux nouvelles versions, en langue syriaque (le Nouveau Testament dans un dialecte de l’araméen supposé parlé par Jésus et les Apôtres) et en langue chaldaïque (une paraphrase araméenne de l’Ancien Testament).

une double page, montrant les cinq langues disposées en gloses encadrantes

Cette nouvelle édition fut pensée comme une réponse catholique à l’exégèse concurrente de la Bible menée par les pays protestants.

Dans le dernier tiers du siècle, marqué par la Contre Réforme, l’édition catholique prend son envol, dans la foulée du Concile de Trente, qui finira par prononcer l’infaillibilité de la Vulgate.

Il s’agissait d’attaquer les protestants avec leurs propres armes et d’utiliser une connaissance approfondie des langues originales de la Bible pour confronter les différentes versions du texte et se distancier de la tradition du commentaire allégorique des quatre sens du texte biblique qui avait prévalu jusqu’alors.

Christophe Plantin, un Français originaire de Touraine, s’établit dès 1649 à Anvers et fait fructifier son officine qui produira une œuvre considérable : environ 2500 éditions, d’une facture remarquable, admirées tant pour leur qualité typographique que pour l’érudition de leur contenu.

Frontispice gravé du second volume

En 1572, Christophe Plantin achève l’impression, en huit volumes, de sa Biblia Sacra, hebraice, chaldaice, graece et latine.

Plantin avait déjà à son actif une large palette d’expériences : il avait édité des bibles en hébreu, syriaque, grec, latin, néerlandais et français.

Il avait imaginé des impressions dans les formats les plus variés : du folio à l’in-24.

Il souhaite innover en proposant une mise en page audacieuse.

En 1566, l’imprimeur anversois avait fait l’acquisition des caractères hébraïques de l’héritier du célèbre imprimeur vénitien Daniel Bomberg, Cornelis Van Bomberghen.

Il achètera d’autres matrices hébraïques auprès de l’imprimeur parisien Guillaume le Bé, et sollicita également le Lyonnais Robert Granjon.

Dans une lettre à Cayas du 4 novembre 1572, Plantin détaille le nombre d’exemplaires qu’il a tirés de sa Bible polyglotte.

Il en imprima 13 sur vélin pour le compte du roi ; 10 sur grand papier impérial qui ne furent pas mis dans le commerce, mais qui étaient côtés à 200 florins ; 30 sur papier impérial à l’aigle à 100 florins pièce, 200 sur papier fin royal au raisin de Lyon, à 80 florins ; 960 sur papier grand royal de Troyes à 70 florins sans la reliure, avec un rabais de 10 florins pour les libraires.

Le prix des reliures variait en fonction du degré de luxe visé, Plantin lui-même payait deux florins par volume pour les relier « honnêtement en tables de bois, la tranche en rouge, en cuir noir avec quelques filets d’or sur le cuir et le titre en lettres d’or sur le dos ».

Contrairement à la plupart des imprimeurs du temps, qui reproduisent simplement les manuscrits que les auteurs leur confient, Plantin fait preuve d’initiative et innove en tant qu’éditeur.

Il ajoute notamment un Apparatus Sacer à la Bible polyglotte : celui-ci comprend trois tomes de dictionnaires, grammaires et dissertations utiles à la lecture de l’ensemble.

Le premier volume de l’Apparatus contient un lexique et une grammaire grecque, celle de Nicolas Clénard, la grammaire syriaque de son collaborateur André Masius, le dictionnaire chaldéen de Guy le Fèvre de La Boderie, l’Epitome Thesauri linguae sanctae de Santi Pagnini et la grammaire hébraïque de François Raphelengien.

Sa correspondance témoigne de la part active qu’il a prise dans cette innovation éditoriale : Plantin, au courant des toutes dernières avancées en matière d’exégèse des langues saintes, a chaque fois choisi les outils les plus récents et les instruments de travail les plus à jour.

Illustration de la signature de Benito Arias Montano

Plantin travaille en étroite collaboration avec le représentant de l’orthodoxie officielle, Benito Arias Montano.

Il se range régulièrement à ses prescriptions.

Par une ordonnance de Philippe II, en date du 19 mai 1570, il devient même « prototypographe » du roi, qui crée le titre exprès pour lui. Cet emploi lui permet en outre d’obtenir le monopole d’impression des missels et des bréviaires du clergé espagnol.

Il aura, selon l’édit, « auctorité d’examiner et approuver les maistres et ouvriers de l’imprimerie ».

Dans une lettre du 8-10 juillet 1572, Plantin confie pourtant à son ami Viglius qu’il ne pourra, en théorie, remplir cet office, étant donné qu’il a lui-même imprimé les hérésiarques anabaptistes Henri Niclaes et Henri Janssens.

Plantin gardera sa foi secrète jusqu’à la fin de sa vie.

Soumis au lancinant soupçon d’hétérodoxie, il prend parfois les devants en expurgeant les passages signalés par Montano.

Le 10 juillet 1572, il lui fait savoir qu’à la réception de ses lettres, il a immédiatement distribué aux compositeurs le dictionnaire syro-chaldéen, après en avoir éliminé les mots suspects, afin d’en faire une édition qui pût se vendre aux Pays-Bas et en Espagne.

L’amitié et la connivence qui le lie à Montano lui permettront de contrer les attaques de sa Bible à Rome, celle, notamment, de l’Espagnol Leòn de Castro.

Deux camps s’opposaient alors : les plus rigoristes rejetaient l’ensemble aux motifs qu’elle citait des hérétiques (Sébastien Münster), qu’elle ne défendait pas assez la lettre de la Vulgate et que subsistaient bien des erreurs.

Les partisans de la polyglotte, de leur côté, défendaient la position des biblistes, trop souvent opprimés par une Inquisition aveugle.

En 1579, la polyglotte peut circuler librement, bien que l’approbation papale ne fût pas accordée à l’Apparatus Sacer.

Valérie Hayaert