Honoré de Balzac

Les Orphelins

1832

incipit du manuscrit

Angoulême, août 1832.

Balzac doit achever une nouvelle pour la Revue des Deux Mondes avant de partir à Aix.

D’après les souvenirs de son amie Zulma Carraud, le romancier aurait écrit son texte :

« cette jolie perle de son écrin », « en jouant au billard. Il quittait le jeu en me priant de l’excuser, et griffonnait sur le coin d’une table, puis revenait à la partie pour la quitter bientôt. Cela dura toute une journée ».

Dans une lettre à sa mère, Balzac parle aussi d’une nuit blanche passée à parachever le texte.

Ces conditions d’écriture expliquent assez l’aspect broussailleux du manuscrit de premier jet, plein de ratures, caviardages et ajouts.

Le début de ce brouillon témoigne de la fièvre d’écriture de Balzac qui se lance avec passion dans la description du domaine de La Grenadière, au cœur de la Touraine (une demeure réelle dont il voulut d’ailleurs se porter acquéreur, en vain).

Copieusement retravaillé avec des adjonctions signalées par un système de signes cabalistiques (croix et barres, doublées voire triplées), ce cheminement à travers les beautés du parc et de la maison fut encore repris et développé sur les épreuves ; l’œuvre y perdit au passage son titre originel, Les Orphelins, au profit de celui de La Grenadière

Fig. 2 : double page 1

Objet de toutes les attentions de Balzac, cet incipit descriptif fit l’objet de deux premiers jets abandonnés.

Ces rédactions furent cancellées par un abondant réseau de lignes moutonnées, mais Balzac remploya le verso de ces feuillets pour écrire sa nouvelle dans sa version quasi définitive.

On peut ainsi découvrir, dans la partie gauche de cette double page et à l’envers, l’un de ses bouts d’essai éliminés, dont le titre Les Orphelins se distingue encore clairement sous les biffures.

Fig. 3 : double page 2

Balzac avait commencé à penser au sujet de La Grenadière dès juin-juillet 1832 : « Une mère mourant soignée par ses fils, elle n’est pas mariée, son enterrement », avait-il noté dans son carnet.

Il mit donc en scène les derniers jours d’une Madame Willemsens, venue cacher en province un lourd secret amoureux qu’elle emporte finalement dans la tombe, laissant ses deux fils (adultérins) démunis.

Cette héroïne aux nombreuses parts d’ombre posa plusieurs problèmes à son créateur.

Il ne se résout que tardivement à révéler son état-civil, par un ajout placé dans cette marge blanche réservée aux modifications et corrections : c’est dans ce fragment, rattaché au texte principal par un long trait transversal, que l’on apprend l’identité réelle de cette femme, une identité d’ailleurs évolutive, puisque Balzac la présente d’abord comme « comtesse di Belliguardo », titre et patronyme ensuite biffé et remplacé par une version anglaise : « comtesse de Brandon ».

Le prénom de cette lady va lui aussi connaître des évolutions : Marie dans le manuscrit et dans la première publication au sein de La Revue de Paris, elle devient finalement Augusta dans l’édition Furne en 1842 (encore Balzac oublie-t-il à deux reprises de corriger le Marie initial, entretenant – à dessein ? – la confusion autour de son personnage).

Nicolas Ducimetière