Entretien avec Anne-Catherine Boehi El Khodary et Osnat Sharf Boo (Editions Infolio)

De façon générale, pensez-vous que l’éditeur est un « lecteur à l’œuvre » ? Quel(s) rôle(s) peut-il jouer dans la construction et la transformation d’un manuscrit ?

L’éditeur est bien sûr un lecteur à l’œuvre. Il a un regard plus neutre et objectif, son rôle est de faire le lien entre l'auteur et un maximum de lecteurs. Il devra concilier les nécessités du texte et un produit à diffuser.

Comment concevez-vous la relation auteur – éditeur – graphiste ?

La relation doit être forte et continue. Le dialogue permet de trouver des solutions communes tout en respectant le domaine de chacun. Nous avons tous comme objectif de créer un bon livre.

De votre point de vue de graphiste, comment voyez-vous le rapport du livre imprimé et du livre numérique ?

Même s'ils montrent le même contenu, les types de communications et de lectures sont complètement différents. L'un est un objet avec une texture, un poids, une sensualité quand l'autre est un logiciel complètement virtuel. Les deux transmettent des sensations et appliquent une interactivité différente. Comme graphistes, dans les deux cas, nous devons choisir chaque fois des moyens pour communiquer l’œuvre aux lecteurs à travers des formats, des typographies, des mises en pages. En revanche, l'approche du travail et le choix de ces mêmes éléments, dans les deux cas de figure, sont totalement autres. De plus, il existe des éléments autour des contenus qui dépendent du produit final comme le choix du papier, la reliure pour le livre-objet et l'interface pour le livre numérique.

Pensez-vous que l’avenir du livre sur papier est dans le livre artisanal ou le livre artistique ?

Le livre artisanal (livre fait main) fait partie d'une niche qui existera certainement toujours ; en revanche, le livre artistique (le beau livre) devient de plus en plus un choix de médium artistique qui est un produit luxueux.

Pouvez-vous décrire les initiatives que vous avez prises dans la fabrication de ce livre ?

Faire intervenir le lecteur et de le surprendre avec l'encre thermochromique des plats de couverture :quelque chose qui montre de manière directe le résultat du contact entre le lecteur et l’œuvre. Déranger le lecteur avec une mise en page particulière, qui fait référence au hors-champs du livre. Montrer la structure du livre – notre produit final parle du processus de fabrication du livre en arrière plan.

L’idée du livre et la lecture du manuscrit vous ont-elles influencées ?

Oui. Ce livre contient un assemblage d'études de cas concernant les originalités et bizarreries publiées dans le monde du livre. Cette idée fut un point de départ pour la réalisation de notre livre ainsi qu'une source d'inspiration.

Le livre s’adresse bien sûr au regard. Quelle est la part du toucher ?

Il s'agit surtout de la couverture qui montre de manière directe le résultat du contact entre le lecteur et l’œuvre. Pour l'intérieur nous avons choisi un papier offset avec deux teintes différentes, pour souligner les sections du livre. L'impression d'ensemble donne une notion de touché plus intime et plus classique. Finalement le choix de la reliure forme un livre qui semble être un intérieur exposé, sans couverture.

Pouvez-vous identifier les effets – émotions, surprises, expériences sensuelles… - que vous avez voulu créer sur le lecteur ?

Tenter de démasquer les variations par lesquelles peuvent passer la conception d'un livre, causé par le passage entre les différentes mains (auteur, éditeur, illustrateur, graphiste, imprimeur, relieur et finalement lecteur). Un livre abouti contient les échos de toutes ces influences – ce sont les petites particularités qui distinguent un livre d'un autre et créent leur caractère unique. Le but était de mettre l'accent là-dessus, sur ces particularités.

Propos recueillis par Michel Jeanneret et Radu Suciu